Le Kakemono, un objet millénaire
Ce dispositif phare de la communication visuelle porte la trace d’une longue tradition religieuse et culturelle qui remonte aux vieilles civilisations asiatiques.
La musique du mot trahit son caractère nippon : le kakémono, littéralement « chose suspendue » (en deux termes « kake » pour « accrocher » et « mono » pour « chose »), est aujourd’hui entré de plain-pied dans le jargon des entreprises occidentales qui désigne, sous ce substantif à consonance extrême-orientale, les supports d’affiche dressés à côté d’un stand de salon professionnel. Cette empreinte étymologique est toutefois trompeuse au sens où elle efface le véritable berceau d’origine du kakémono : les premiers modèles auraient été créés en Chine dès le VIIème siècle de notre ère, époque où la dynastie impériale Tang (618-907) amorce la stabilisation politique et la renaissance culturelle de la région. En ces temps de forte religiosité, de petites prières bouddhiques (sutras) commencent à être compilées sur des rouleaux de toile déployés aux murs des habitations et des temples, un mode d’exposition horizontale qui cherche à faciliter la lecture des textes sacrés et à en ouvrir l’accès à un plus grand nombre d’âmes pieuses.
Kakémono avec un accent aigu
Très vite, ce nouveau moyen de diffusion traverse l’océan et imprègne les mœurs japonaises, jusqu’à entrer dans le décorum observé lors de la fameuse cérémonie du thé (ou « chanoyu ») : progressivement, à mesure que les siècles s’empilent, la fonction cultuelle initiale de ces kakejiku – le vocable « jiku » traduit la « baguette » dont on prolonge le pan de toile afin de le tendre en suspension à partir de sa base – se double d’un usage artistique et laïque : les tissus déroulent des images et des motifs ornementaux dont on tapisse les espaces privés, comme les maisons où la mise en évidence d’un kakémono disposé à flanc de façade symbolise l’hospitalité des hôtes et signale, depuis l’extérieur du logis, un message de bienvenue aux visiteurs. A leur tour, les peintres et les calligraphes japonais s’emparent du support pour y « encadrer » leurs œuvres et les exposer au public : le kakémono est l’un des formats adoptés par les artistes du mouvement pictural Ukiyo-e (1603-1868). En France, le mot apparaît à la fin du XIXème siècle sous la plume d’Edmond de Goncourt dans un livre qu’il consacre à Hokusaï, un dessinateur emblématique de cette mouvance culturelle (1895). Cent ans plus tard, un rapport sur les rectifications orthographiques préconise, sous l’égide du Conseil Supérieur de la langue française, d’écrire « kakémono » et non plus « kakemono ».
Entre temps, le terme s’est taillé une place de choix dans le champ lexical des entreprises et des salons professionnels : ce mode d’affichage positif, esthétique et accueillant a su remonter le fil du temps et évoluer avec son époque pour répondre, sans coutures, aux besoins modernes du secteur de la communication et du marketing*. Ses caractéristiques fonctionnelles, qui en font un accessoire léger, mobile, simple à monter et à replier, restent immuables depuis plus d’un millénaire et l’imposent aujourd’hui comme une solution incontournable de l’univers de la PLV (publicité sur le lieu de vente) apte à diffuser des messages clairs et concis dans les lieux stratégiques.
*L’ancestrale baguette de suspension en bambou a disparu des versions les plus évoluées au profit de tubes en aluminium. Enfin, dans sa forme la plus moderne, le kakémono est monté sur un enrouleur mécanique (le roll-up).